Introduction
Durant la matinée du 21 mai 2022, une ligne d’orages violents se forma dans le sud du Lac Michigan, puis traversa le sud de l’Ontario et du Québec, se déplaçant à plus de 100 km/h, avant de s’échouer au Nouveau-Brunswick 15 heures plus tard et 1500 km plus loin. Sur son passage, d’innombrables dommages : Outaouais, Montérégie, Laurentides, Lanaudière, Québec, plusieurs pointes de vent dépassant les 90-100 km/h, dont une rafale de 151 km/h sur le Lac Memphrémagog, toitures et clocher d’église arrachés, arbres déracinés, des milliers de pannes d’électricité majeures, et, malheureusement, 10 victimes.
Un…« derecho » ?
Ce que nous avons vécu dans le sud de l’Ontario et du Québec, en ce 21 mai, s’appelle un « derecho » (prononcé dé-ré-tcho), mot espagnol qui signifie « tout droit ». C’est un phénomène météorologique particulier, rare dans nos régions, prenant la forme d’un arc d’orages violents, se distinguant surtout par de très forts vents de surface soufflant tous à peu près dans la même direction. Afin de discriminer ces vents en ligne droite des vents rotatifs des tornades, le terme « derecho » fut proposé en 1888 par un professeur de physique de l’Université d’Iowa. La définition exige une bande de dommages au sol longue et étroite, d’au moins 650 km de long et 100 km de large, accompagnée de pointes de vent d’au moins 93 km/h. L’événement du 21 mai s’est étendu sur 1500 km avec une largeur variant entre 130 km et 300 km selon son stade de développement, et a vu des pointes de vent dépasser les 120 km/h ; clairement, nous avons eu affaire à un derecho vigoureux !
Comment se forme un derecho ?
Un derecho, c’est essentiellement : (A) une série d’orages très violents arrangés le long d’un arc de cercle (appelé bow echo en anglais), (B) l’arc d’orages est poussé en ligne droite par un corridor de vents forts en altitude, causant (C) une série de rafales descendantes, qui forcent les vents forts en altitude à se rabattre violemment au sol.
- Les orages proviennent d’un phénomène très courant dans l’atmosphère, appelé « convection », qui survient à chaque fois qu’une masse d’air chaud et très humide se forme sous une masse d’air beaucoup plus froide et sèche en haute atmosphère. Durant la saison chaude, le soleil réchauffe violemment le sol, qui va ensuite réchauffer la couche d’atmosphère près du sol. Comme une montgolfière dans laquelle on a injecté de l’air chaud, cette couche réchauffée va vouloir s’élever vers le haut, exactement comme les bulles d’une eau bouillante montant spontanément vers la surface à cause de l’élément chauffant sous la casserole. Le matin du 21 mai, l’air était prêt à « bouillir » comme une casserole d’eau sous le feu.
- Dans les latitudes de pays nordiques comme le nôtre, la haute atmosphère est un siège quasi-permanent de vents très forts, soufflant fréquemment entre 150 et 250 km/h, et pouvant parfois dépasser les 350-400 km/h. Ces vents suivent un corridor étroit et ondulant qui parcourt tout le globe d’ouest en est, que l’on appelle le courant-jet (jet steam en anglais). La plupart du temps, ces corridors de vent se limitent à la très haute atmosphère, à 9 000 – 12 000 m d’altitude. Mais dans le cas qui nous intéresse, celui du 21 mai, il y avait aussi un corridor de vents plus près du sol, soufflant du sud-ouest à près de 90 km/h, le long de l’axe Québec-Windsor, entre 3 000 et 5 000 m d’altitude. Les vents les plus forts se trouvaient dans le centre du corridor, ce qui explique la forme en arc de cercle de la ligne d’orage.
- Les rafales descendantes se forment lorsque les forts vents d’altitude entrent par derrière dans la ligne d’orage et s’engouffrent dans la zone de pluie intense qui, en tombant vers le sol, entraîne l’air avec elle et force les vents à se rabattre au sol.
Pourquoi un derecho persiste-t-il si longtemps ?
Comme nous l’avons vu, le derecho du 21 mai a duré plus de 12 heures, ce qui est beaucoup plus long que les 30-60 minutes d’un orage individuel. C’est que les orages à la tête d’un derecho se renouvellent constamment selon un processus qui s’auto-entretient : une première série d’orages se forme, les vents forts d’altitude entrent par derrière, forment des rafales descendantes au sol qui s’étalent vers l’avant, ce qui force du nouvel air à s’élever et déclencher de nouveaux orages devant les vieux orages déjà en train de se dissiper, la ligne d’orage avance, puis de nouvelles rafales descendantes se forment, poussent l’air au sol vers l’avant, ce qui forme de nouveaux orages devant les anciens, et ainsi de suite. Les vents d’altitude soufflaient de 80 à 90 km/h et poussa donc le derecho vers le nord-est à près de 100 km/h et des rafales destructrices au sol.
Le derecho du 21 mai 2022
Sur la vidéo ci-dessus, nous voyons la progression du derecho du 21 mai dernier à l’aide d’une animation d’images de données radar, sur lesquelles ont été superposées les données de plusieurs stations météorologiques, données pour lesquelles un contrôle-qualité serré a été appliqué par Solutions Mesonet. Nous constatons clairement la ligne d’orage en forme d’arc dans le Michigan, au début de la séquence dans la matinée du 21. Nous voyons ensuite une progression du système vers le nord-est à une vitesse d’environ 100 km/h, passer à travers le sud de l’Ontario, puis le sud du Québec, et finalement terminer sa course au Nouveau-Brunswick en fin de soirée. Au passage, des rafales de 90 à 99 km/h à Ottawa, 75 à 93 km/h dans les Laurentides, Lanaudière et la Mauricie et de 65 à 91 km/h en Montérégie et Estrie. Remarquez la division de la ligne en deux lors de son passage au-dessus de la vallée du St-Laurent, épargnant du coup l’Île de Montréal. Ce phénomène est assez fréquent et fait de sorte que Montréal est généralement un peu plus épargnée par les précipitations que ses voisins montagneux au nord et à l’est.
1 Sur la Terre, l’atmosphère, transparente aux rayons solaires, n’est pas réchauffée directement par ceux-ci, mais indirectement par contact avec le sol préalablement réchauffé par l’astre solaire. Il s’ensuit que les couches d’atmosphère plus près du sol seront généralement bien plus chaudes que celles en plus haute altitude, spécialement en été, ce qui explique la présence des neiges éternelles en région montagneuse.
2 En hiver, ce phénomène de convection est beaucoup plus rare (mais pas impossible) parce que le soleil ne peut réchauffer le sol avec autant d’intensité qu’en été.
3 Le courant-jet est le principal responsable de l’existence des systèmes de haute et de basse pression, avec leurs fronts froid et chaud, qui traversent régulièrement nos régions nordiques.24