Chaque hiver dans le sud du Québec, le thermomètre peut chuter nettement en-dessous des normales de saison, atteignant parfois -20 °C à -25 °C durant plusieurs jours. Cette période de grand froid, connue sous le nom de « vague de froid », a récemment touché le Québec au début du mois de février, avec des températures nocturnes allant en-deçà de -25 °C, voire -30 °C à plusieurs endroits.
Dans le contexte actuel de réchauffement général du climat planétaire, il peut sembler paradoxal de connaître de telles températures glaciales et cette question légitime est souvent soulevée dans les conversations, présentant un prétendu paradoxe qui défie le bon sens. Bien que cette interrogation puisse sembler anodine, elle nous offre une opportunité d’introduire quelques concepts importants de la science de l’atmosphère.
En réalité, la question n’est paradoxale qu’en apparence, car elle oppose deux notions qui en réalité ne peuvent pas être directement comparées : la météo et le climat.
I. La « météo » et le « climat »
Nous avons déjà parlé du climat dans un article précédent[1], mais prenons maintenant le temps de bien définir le vocabulaire pour cet article.
Les termes « météo » et « climat » sont souvent considérés comme interchangeables dans le langage courant— un exemple notoire étant les reportages médiatiques qui, lors du passage de grosses tempêtes de neige, font souvent référence aux « conditions climatiques difficiles ». Pourtant, il y a bel et bien une différence fondamentale entre les deux ; le Consortium Ouranos le résume bien dans son rapport de synthèse de 2015 sur les changements climatiques[2] :
« Le climat réfère aux conditions observées sur une longue période de temps à un endroit donné. Il est défini par les valeurs normales calculées sur 30 ans. Le climat est donc beaucoup plus stable que la météo et change très lentement.
La météo réfère quant à elle au temps qu’il fait à un endroit précis, aujourd’hui ou dans un avenir rapproché. Elle peut changer rapidement. Par exemple, au Québec, il n’est pas rare de voir un réchauffement de la température de 10℃ entre la nuit et le jour. »
La « météo », c’est donc le « temps qu’il fait » d’heure en heure et de jour en jour. Elle est faite d’événements ponctuels qui se succèdent les uns après les autres. Le « climat », quant à lui, provient des statistiques de ces événements, comme leurs moyennes (les fameuses « normales de saison »), leurs valeurs extrêmes (les records), etc. Ces statistiques sont calculées à partir de la météo enregistrée durant les 30 dernières années. Le « climat », c’est le résumé de la météo « typique ».
« Nous ne vivons pas le climat, nous vivons la météo qui fluctue de jour en jour autour d’une moyenne climatique. »
Prenons un exemple concret. Sur la Figure 1 ci-dessous, le climat de Montréal est représenté par deux teintes de vert pour chaque jour de l’année : les bandes vert foncé illustre les moyennes (normales de saison) et les bandes vert pâle les extrêmes (les records historiques), calculés à partir de la météo observée durant la période 1981-2010); en contraste les bandes oranges sont la météo comme telle qui fut enregistrée en 2022. Les bandes vertes sont le climat de Montréal, elles sont l’enveloppe climatique à l’intérieur de laquelle les bandes oranges de la météo quotidienne évoluent.
Notons en passant qu’en 2022, Montréal a battu 11 records de chaleur (les petites bandes violettes), et aucun record de froid (malgré la vague de froid de janvier).
Figure 1 Climat de la région montréalaise (en vert foncé et pâle, superposé aux températures quotidiennes en 2022 (en orangé). Figure adaptée de https://meteocentre.com/climate-monitoring/radial.php?city=mtl&year=2022&lang=fr
Si vous n’êtes toujours pas convaincus de la différence entre les deux termes, considérez ceci : une variation de 5℃ dans la météo d’un jour à l’autre est plutôt banal et assez fréquent; par contre, une fluctuation de 5℃ dans le climat représente l’écart de température entre l’âge glaciaire et le climat actuel[3] !
« La météo se produit à l’intérieur d’un contexte climatique plus large. »
II. Des vagues de froid en période de réchauffement climatique
Maintenant que nous avons le bon vocabulaire établi, examinons maintenant le phénomène des vagues de froid.
Géographiquement, le Québec se trouve être exactement à mi-chemin entre l’air chaud et humide ceinturant l’équateur en permanence et l’air froid tout aussi permanent entourant les pôles. À certains moments, le contraste entre ces deux grandes masses d’air peut devenir particulièrement intense, et Dame Nature, qui n’aime jamais les contrastes quels qu’ils soient, s’arrange toujours pour les minimiser le plus possible. Pour ce faire, elle fait intervenir les fameux « systèmes de basse pression » qui forcent le mélange des masses d’air l’une dans l’autre, soufflant sur le flanc ouest l’air polaire vers le sud et sur le flanc est l’air tropical vers le nord (voir la Figure 2). Le Québec se trouve donc en plein dans cette « zone de mélange de masses d’air » planétaire, ce qui explique d’ailleurs les grandes fluctuations de température que nous connaissons régulièrement, surtout en hiver.
Figure 2 Schéma simplifié des zones de haute et de basse pression typiques de nos latitudes.
Dans ce contexte général, les vagues de froid sont définies comme des incursions particulièrement profondes et persistantes de l’air polaire vers des régions beaucoup plus au sud qu’à l’habitude[4], à la suite d’un système de basse pression particulièrement intense et/ou qui stagne au même endroit pendant plusieurs jours.
Une vague de froid est ainsi un événement météo se produisant à l’intérieur du contexte général qu’est le réchauffement climatique. Il est donc tout à fait concevable que nous vivions des épisodes temporaires où les températures chutent considérablement (puis remontent à nouveau quelques jours plus tard), alors que le climat poursuit son réchauffement.
« L’occurrence de vagues de froid occasionnelles ne contredit en rien le fait que le climat se réchauffe à l’échelle planétaire. »
III. Les vagues de froid au Québec
a) Les vagues de froid d’antan
Ce contexte de réchauffement est clairement illustré à la Figure 3 pour le sud du Québec (au sud du 50e parallèle) où on peut voir l’historique des températures moyennes pour chaque année depuis 1871, basé sur les données enregistrées par les stations météorologiques de la région. En dépit d’une variation considérable d’une année à l’autre, la tendance générale est clairement à la hausse, passant d’environ ~1°C dans les années 1870 à 4 ou 5°C aujourd’hui, un réchauffement moyen de ~3°C.
Maintenant, on voit à la Figure 4 (qui affiche le nombre de jours par année avec un minimum sous la barre des -25°C pour la région de Québec) la confirmation qu’en dépit du réchauffement général, les épisodes de très grand froid se sont tout de même poursuivis (voir à la section précédente). La raison, quand on y réfléchit, est simple : réchauffement ou pas, les saisons, elles, existeront toujours (il y aura toujours des hivers québécois !), et les régions polaires continueront de subir de longs mois sans la chaleur du soleil. Les incursions d’air froid se produiront donc encore forcément, à la différence que celles-ci le feront de moins en moins fréquemment, ce que l’on peut constater à la Figure 4, où les jours froids sont passés d’environ 25 jours vers la moitié du XXe siècle à environ 15 jours au début du siècle actuel[5].
Figure 3 Température moyenne de l’année (en °C), pour les années 1871 à 2018, région sud du Québec, latitudes 45°N à 50°N données téléchargées depuis le Climatic Research Unit : https://crudata.uea.ac.uk/cru/data/hrg/cru_ts_4.06/ge/cruts_4.06_gridboxes.kml
Figure 4 Nombre de jours durant l’année avec une température minimale sous -25 °C, région Capitale-Nationale au Québec, entre 1951 et 2013. Entre 1994 et 2013, ils sont passés de 39 jours à 18 jours, une baisse de 54%. (Données téléchargées depuis le site https://www.ouranos.ca/fr/portraits-climatiques)
b) Les vagues de froid futures
On constate qu’en effet, les vagues de froid se font déjà plus rares. D’autre part les émissions de gaz à effet de serre se poursuivront encore dans les prochaines décennies, à un rythme qui dépendra des choix de société que nous ferons. Quoi qu’il en soit, le climat continuera de se réchauffer et les vagues de froid continueront de se faire de plus en plus rares. Pour entrevoir le climat du futur, nous utilisons des projections climatiques produites à l’aide de modèles informatiques très similaires à ceux utilisés pour prévoir la météo. Plus précisément, le modèle climatique produit des événements météo virtuels d’une Terre virtuelle, simulés sur des décennies au lieu de quelques jours et à partir desquels sera calculé un climat virtuel qui, on l’espère, est comparable au climat réel.
Le climat du futur dépend fortement des émissions que nous allons émettre collectivement dans les prochaines décennies, et pour en tenir compte les rapports sur les changements climatiques présentent souvent plusieurs scénarios de projection climatique couvrant l’ensemble des possibilités d’émissions futures de gaz à effet de serre, allant d’optimiste (les émissions se renversent jusqu’en 2050 puis tombe à zéro avant la fin du siècle) à pessimiste (les émissions croissent exponentiellement dans le style « business as usual »). La Figure 5 montre le nombre de jours avec des températures sous -25°C, selon un scénario modéré, pour la période actuelle (1981-2010, à gauche) et pour le milieu du siècle actuel (2041-2070, à droite). Les couleurs orangées et rouges de la figure suggèrent fortement que les vagues de froid—du moins celles correspondant à des températures en-deçà de -25°C—seront vraisemblablement révolues d’ici vingt à quarante ans dans l’extrême sud du Québec, en supposant que ce scénario d’émission se réalise.
Figure 5 Comparaison du nombre de jours durant l’année pour lesquels la température minimale descend sous -25 °C entre les périodes 1981-2010 et 2041-2100, tel que simulé par un modèle climatique selon un scénario « modéré » d’émissions futures de GES, pour le Québec. (Figure générée depuis le site https://www.ouranos.ca/fr/portraits-climatiques .)
IV. En conclusion
Nous avons vu que le paradoxe apparent de l’occurrence des vagues de froid d’une part, et le réchauffement climatique actuel d’autre part, provient à la base d’une confusion de vocabulaire. Très simplement, la météo évolue de jour en jour à l’intérieur d’un contexte climatique général. Celui-ci est défini par les statistiques des valeurs historiques de la météo observée sur une longue période, typiquement de 30 ans. Les événements météo peuvent donc très bien fluctuer autour des moyennes climatiques, tout en restant à l’intérieur des extrêmes record enregistrés (sauf lorsqu’un nouveau record est battu). Des écarts par rapport à la moyenne sont donc tout à fait permis et normaux, même en période de réchauffement (ou de refroidissement) climatique. D’ailleurs les termes « normales saisonnières » employés par les présentateurs des bulletins météo ne sont peut-être pas le meilleur choix, car il suppose que toute météo qui s’écarte des normales est « anormale », alors qu’en réalité, ce sont les fluctuations météo quotidiennes qui sont normales !
[1] « La tempête hivernale des 22-24 décembre 2022 : un rappel que les changements climatiques sont bien réels », publié le 25 janvier 2023, https://www.solutions-mesonet.org/la-tempete-hivernale-des-22-24-decembre-2022-un-rappel-que-les-changements-climatiques-sont-bien-reels/
[2] Ouranos (2015). Vers l’adaptation. Synthèse des connaissances sur les changements climatiques au Québec. Édition 2015. Montréal, Québec : Ouranos. 415 p.
[3] Il y a 20 000 ans, le sol était couvert par 3 km de glace partout au Canada.
[4] De la même manière qu’une vague de chaleur est une incursion vers le nord particulièrement profonde et persistante de l’air tropical.
[5] Nous prenons ici le nombre de jours sous -25°C durant l’année comme « critère » de vague de froid, sans tenir compte si ceux-ci se succèdent ou non. Nous considérons que cela fourni néanmoins une indication adéquate de la fréquence des vagues de froid.