La prévision météorologique : limites et possibilités – Partie 1

Introduction

Pourquoi a-t-on parfois l’impression que les prévisions météorologiques ont manqué leur cible ?

Dans certains cas, les critiques dirigées à l’endroit des prévisions météorologiques sont justifiées ; une prévision peut à l’occasion avoir été carrément manquée, même en-deçà de périodes aussi courtes que 24 heures. Mais ce qui est perçu comme une “mauvaise” prévision par les usagers du terrain est souvent le résultat d’une méconnaissance de certains concepts clés. Il n’est pas rare non plus de croiser sur la toile des services météo qui offrent des prévisions s’échelonnant sur des semaines, voire des mois, ce qui contribue à l’entretien d’attentes exagérément irréalistes par rapport à ce que les prévisions météo peuvent faire et ce qu’elles ne peuvent pas faire.

Dans le but d’expliquer ces concepts de la manière la plus simple possible, nous vous présentons une série d’articles de vulgarisation destinée à expliquer pourquoi les prévisions météorologiques ne pourront jamais être fiables au-delà d’un certain seuil de temps. Il y a en effet des raisons physiquement incontournables derrière cette limite qui en soi n’ont rien à voir avec nos connaissances scientifiques ou le niveau technologique actuel (bien que cela peut certainement y contribuer).

Cette série d’articles se décline en trois parties : une première partie expliquera comment un modèle de prévision est construit et comment il fonctionne ; en seconde partie, nous présenterons le concept du “chaos” en l’appliquant tout d’abord à un système simple (le pendule double), puis à un système complexe (l’atmosphère). Nous aborderons ensuite la troisième partie, dans laquelle nous examinerons une stratégie pour exploiter l’aspect chaotique de l’atmosphère. Nous clôturerons le tout par un résumé et une conclusion.

Partie 1

Comment les modèles numériques simulent la météo

Examinons d’abord ce qu’est une prévision météorologique : une prévision météorologique est en majeure partie le résultat d’une simulation numérique de l’atmosphère exécutée sur ordinateur à partir d’observations réellesCes simulations font partie de l’arsenal d’outils dont dispose le(la) météorologue afin d’émettre la prévision officielle d’un centre météorologique national (par ex.: le Service météorologique du Canada), mais forment tout de même le socle sur lequel tout l’édifice prévisionnel se construit.

Ces simulations suivent directement les lois physiques de la nature, grâce aux équations mathématiques de la mécanique des fluides. On a en fait reformulé ces équations sous une forme appropriée à l’atmosphère, avant qu’elles soient programmées et encapsulées dans un modèle numérique de prévision du temps (que nous nommerons “modèle de prévision” à partir de maintenant).

Bien que comportant des imperfections, un modèle de prévision est capable de reproduire la complexité inouïe des mouvements atmosphériques avec une fidélité étonnante. Ses innombrables calculs génèrent en quelque sorte une atmosphère virtuelle complète en 3D où on y calcule explicitement les variations dans le temps de la température, du vent, de l’humidité et de la pression barométrique partout sur le globe, et ce de la surface jusqu’au sommet de la stratosphère.

Parce que ces variables obéissent aux équations fondamentales qui ont été programmées, le modèle est capable de générer par lui-même sa propre météo, c’est-à-dire ses propres vents virtuels, nuages et cellules orageuses, pluie et neige virtuels tombant sur un sol virtuel où poussent des arbres virtuels, pompant l’eau du sol avant de le retourner vers l’atmosphère par transpiration, du rayonnement solaire et infrarouge virtuels interagissant avec les nuages et le sol, un soleil virtuel se levant et se couchant à chaque jour virtuel. Il va de soi que réussir à reproduire une telle complexité requiert des ressources informatiques considérables, typiquement fournies par les plus gros ordinateurs disponibles dans le monde.

Une prévision météorologique est […] une simulation numérique de l’atmosphère exécutée sur ordinateur à partir d’observations réelles.

Les nombreux calculs effectués par les modèles de prévision météo se basent sur une méthode rencontrée fréquemment en physique et intuitivement évidente : les événements futurs dépendent toujours des événements du passé.

Supposons que nous voulions produire une prévision météo à l’aide d’un modèle numérique pour le 15 juin à midi alors que nous sommes le 10 juin à midi, donc une prévision de cinq jours exactement.

On doit tout d’abord rassembler, à midi le 10 juin, des observations de l’atmosphère réelle provenant de partout sur la planète afin de donner à notre modèle une première version de son atmosphère virtuelle, l’échantillon le plus précis possible à cette date. Cet échantillon servira de point de départ à partir duquel les calculs seront faits.

Les variables observées sont les suivantes : température, vitesse et direction du vent, humidité et pression, qui proviennent de dizaines de milliers de mesures effectuées par une panoplie de réseaux de stations météorologiques, satellites et radars, avions, bouées océaniques et bateaux.

L’atmosphère virtuelle de départ s’appelle l’état initial du modèle.

Une fois son état initial obtenu, le modèle est démarré et commence à calculer comment l’atmosphère changera dans le temps depuis le temps zéro. Le modèle est laissé à lui-même durant son exécution : il crée librement ses propres nuages, sa propre pluie, ses propres vents ; les phénomènes météorologiques virtuels émergent littéralement des équations du modèle, et ne dépendent pas de commandes explicites du genre “place un nuage là”, ou “fait tomber la pluie ici et s’il fait froid, fais-la tomber en neige”. Ce faisant, le modèle avance vers le futur par petites étapes à l’aide de pas de temps d’une longueur d’une minute habituellement.

Les phénomènes météorologiques virtuels émergent littéralement des équations du modèle.

Pour simuler l’atmosphère, le modèle numérique travaille avec une “grille de calcul” constituée d’environ 500 millions de points répartis sur tout le globe selon des intervalles réguliers d’une dizaine à une trentaine de kilomètres (c’est ce que l’on appelle la “résolution” du modèle), et selon plusieurs “niveaux” verticaux (une cinquantaine) qui s’étendent jusque dans la stratosphère.

Schéma d'un modèle numérique de prévisions

C’est sur ces “points de grille” que le modèle effectue ses calculs. À chaque pas de temps, les points de grille sont parcourus un à un en faisant sur chacun d’eux les calculs requis par les équations, ce qui nous fournit la prochaine minute virtuelle. Puis on passe au pas de temps suivant en répétant les calculs depuis le début aux mêmes points de grille, et ainsi de suite de pas de temps en pas de temps. Pour notre prévision de cinq jours, il faudra répéter ces calculs plus de 3000 milliards de fois.

Une simulation réaliste ne constitue pas nécessairement une bonne prévision.

En général, plus les points de grille sont rapprochés, meilleure est la représentation des détails de l’atmosphère, et meilleure est la fidélité de la simulation. Mais une simulation réaliste ne constitue pas nécessairement une bonne prévision, comme nous allons maintenant le voir.

Des prévisions parfaites ?

Est-il possible de prévoir la météo dans un futur aussi lointain que l’on souhaite ?

Afin de répondre à cette question, faisons d’abord une parenthèse pour préciser la distinction importante qu’il existe entre une simulation numérique et une prévision numérique.

D’une part, une simulation est dans notre contexte un modèle numérique qui reproduit un phénomène naturel en se servant de la puissance de calcul d’un ordinateur. Le modèle peut alors agir en tant que “laboratoire” virtuel dans lequel on peut faire des expériences contrôlées, sans nécessairement se référer à des événements réels. Selon l’expérience désirée, nous sommes libres de prescrire n’importe quel état initial à notre modèle, réaliste ou non, et celui-ci générera quand même une simulation physiquement réaliste.

Dans une prévision, la qualité de l’état initial est donc aussi importante que la qualité de la simulation.

D’autre part, une prévision est une simulation numérique appliquée à un cas réel. Le modèle devra donc être initialisé par des observations réelles. Dans une prévision, la qualité de l’état initial est aussi importante que la qualité de la simulation : si l’état initial est mesuré précisément, mais que le modèle manque de réalisme, la prévision sera mauvaise. Si par contre l’état initial contient d’importantes erreurs bien que le modèle soit réaliste, la prévision sera également mauvaise.

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Mais alors, pour pouvoir prévoir l’atmosphère réelle dans un futur aussi éloigné que l’on veut, ne suffirait-il pas d’avoir le plus d’observations possibles ET le modèle le plus parfait possible ? Tout ne serait-il finalement qu’une question de quantité d’information ? Une quantité d’information infinie nous permettrait de tout prévoir parfaitement jusqu’à la fin des temps, non ??

Pas du tout, malheureusement.

Il est vrai, oui, que les prévisions météo se sont grandement améliorées depuis les dernières décennies avec l’amélioration des réseaux d’observations et la conception de modèles de plus en plus réalistes : une prévision du jour 5 est aujourd’hui aussi bonne qu’une prévision du jour 2 d’il y a trente ans. Mais on a aussi, malheureusement, constaté que cette amélioration semble s’approcher d’une limite.

Toute la complexité de l’atmosphère provient d’un comportement chaotique généralisé.

Les raisons derrière ce fait nous amènent vers un concept peu compris mais néanmoins fondamental de la prévision météorologique : le comportement dit “chaotique” de l’atmosphère. Dans le langage populaire, nous parlons souvent de “l’effet papillon” pour lequel un battement d’aile de papillon au Brésil va éventuellement provoquer un ouragan aux Philippines. Nous ne parlons pas ici de chaos dans le sens commun d’aléatoire ou d’arbitraire, mais bien de la définition scientifique du terme où des différences mêmes minimes ont un effet domino à plus ou moins long terme sur l’évolution d’un système comme l’atmosphère.

Nous verrons donc que toute la complexité de l’atmosphère provient d’un comportement chaotique généralisé. Mais nous verrons aussi que le chaos ne s’applique pas seulement à des phénomènes complexes, mais peut aussi provenir de systèmes pourtant extrêmement simples de conception. Quelles sont les raisons derrière cet aspect inattendu de notre atmosphère ? Et pourquoi donc le chaos existe-t-il ? La beauté de la science est dans la surprise, comme nous le verrons dans le prochain article de cette série.

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